Pauvreté au Jiangsu : Dans cette province de 80 millions d’habitants, les autorités ont annoncé le 7 janvier que seules 17 personnes restent sous le seuil de pauvreté. Vraiment ?
Editorial
L’annonce d’un virus. Vendredi 24 janvier, c’est le jour de l’an, le début de l’année du Rat. À cette occasion, tous les travailleurs ont droit à une semaine de congé et quelque 250 millions de travailleurs migrants doivent rentrer dans leur village d’origine pour retrouver leur famille, c’est souvent la seule fois dans l’année. En tout, plus de 400 millions de voyageurs prévus. Oui, mais voilà qu’est annoncée officiellement à Wuhan l’infection de plusieurs citoyens par un virus inconnu, pouvant occasionner de sévères complications pulmonaires. La Commission nationale de la Santé affichait déjà 45 cas le 16 janvier à Wuhan seulement. Or cette ville de 11 millions d’habitants est une plaque tournante des transports (aériens, ferroviaires, routiers) au centre de la Chine, fréquentée par des dizaines de millions de voyageurs en transit, donc avec un grand risque d’extension de l’épidémie. Car ce 21 janvier, on relève déjà 440 cas officiellement confirmés, alors que le 9 janvier, la Commission municipale de la santé de Wuhan a officiellement annoncé la mort d’un homme de 61 ans.
Le plus inquiétant, c’est qu’un groupe de chercheurs de l’Imperial College de Londres a publié le 17 janvier un rapport faisant état de 1723 cas sur la base d’apparition de symptômes au 12 janvier et n’excluant pas la transmission interhumaine…
Ne pas perturber l’ordre social… Tout cela n’a pas l’air d’inquiéter outre mesure les dirigeants du Parti communiste de Wuhan. Pourtant, le premier cas a été diagnostiqué le 12 décembre, mais il n’a été confirmé officiellement que le 31 décembre par les autorités locales. Surtout ne pas affoler la population, telle est la consigne. Alors, le 1er janvier, la police de Wuhan a arrêté et puni huit personnes – des médecins qui affirmaient que ce nouveau virus ressemblait fort à celui de l’épidémie du SRAS qui avait provoqué la mort de 800 personnes en 2003 – pour « publication de fausses informations sur internet », ce qui avait « perturbé gravement l’ordre social ». Des journalistes de Hong Kong qui avaient enregistré des reportages dans les hôpitaux de la ville ont été interpellés et sommés de détruire leurs enregistrements.
Ces centaines d’apparatchiks du Parti communiste chinois qui dirigent Wuhan et la province du Hubei veulent faire croire que la situation n’est pas grave. A preuve, ils se sont réunis à Wuhan pour leurs travaux du 7 au 17 janvier, un banquet géant de 40 000 Wuhanais s’est même tenu il y a quelques jours alors qu’on ignore tout du virus – sauf son nom : coronavirus – et de son mode de transmission!
Alerte générale ! Mais ce 20 janvier changement de ton : la Commission nationale de la santé a déconseillé dans un message à la télévision nationale d’aller à Wuhan et à ses habitants d’en sortir. Et surtout le secrétaire général du Parti communiste Xi Jinping a donné le signal de la mobilisation pour enrayer « résolument » la propagation du nouveau virus et a jugé « nécessaire de diffuser l’information en temps et en heure et de renforcer la coopération internationale », tout en appelant à « maintenir résolument la stabilité de la société et faire en sorte que les masses jouissent d’un Nouvel An stable et paisible »… L’avertissement aux bureaucrates est clair : des têtes vont tomber si on a caché ou minimisé les informations dues au citoyen car il faut, a insisté Xi Jinping, « maintenir résolument la stabilité de la société ».
« Ils sont lents à gérer la crise, mais rapides à faire taire les gens », écrit un internaute chinois, résumant ainsi l’attitude des responsables de la ville de Wuhan face à la situation créée par cette épidémie du coronavirus. L’appel récent du numéro 5 du Parti, Wang Huning, à un « degré élevé de vigilance » à propos des défis politiques et économiques,,, rappelant aux cadres la nécessité de « désamorcer les risques majeurs » qui pourraient saper le Parti n’avait pas envisagé le défi sanitaire…
Le saut dans l’inconnu. Et ce coronavirus tombe vraiment mal, car l’épidémie, si elle continue de se développer à ce rythme, peut tourner à la catastrophe pour les travailleurs et leurs familles. Il y a moins d’un mois, le 24 décembre, le Premier ministre Li Keqiang avait averti qu’il fallait améliorer la stabilité de l’emploi et éviter les licenciements massifs. La veille, l’Académie des sciences sociales avait remis son « Livre bleu sur la situation sociale en 2020 », faisant état des risques pour l’emploi dans une situation de tensions avec la guerre commerciale et de pressions à la baisse pour l’économie.
L’activité manufacturière et le secteur des services ne progressent plus aussi vite, bref « l’activité globale de la Chine a continué de se stabiliser », comme l’écrit élégamment un responsable de l’analyse macroéconomique à la revue chinoise « Caixin » (voir l’étude de « China Labour Bulletin » au verso). Et si plus personne ne pourra entrer ni sortir de Wuhan, les échanges commerciaux seraient donc bloqués et l’activité fortement réduite. Et dans ce cas, qu’adviendra-t-il de l’emploi et des salaires de ces travailleurs bloqués ?
Dans nos Documents, nous poursuivons la publication des noms de tous ces défenseurs des droits ouvriers qui ont été harcelés par la police, interpellés, détenus, arrêtés de l’été 2018 à l’été 2019 et dont nous n’avons plus de nouvelles. Une de leurs activités consistait à enquêter sur les conditions de travail, à conseiller les travailleurs sur leurs droits et à les aider à faire valoir les revendications, notamment en mandatant leurs délégués pour des négociations collectives. Par exemple, à obtenir le versement des salaires, dont l’étude de « China Labour Bulletin » sur « L’état des relations de travail en Chine en 2019 » montre que ce fut la principale source des conflits, malgré les promesses répétées du gouvernement de résoudre ce problème.
Il y a trente ans, le 4 janvier 1990, se tenait le premier Banquet de solidarité de la Commission Enquête Chine constituée à cette occasion. Nous n’avons cessé depuis de mener bataille pour la défense des droits ouvriers et des libertés démocratiques en Chine. Nous avons besoin de votre aide : faites connaître cette « Lettre » et aidez la Commission à financer les frais de voyages et de traduction (on peut par exemple verser chaque mois par virement une somme de 10€). Merci !
Ces militants dont on n’a plus de nouvelles… (2)
À partir de juillet 2018, une répression massive a été engagée par les autorités, notamment de la province du Guangdong, pendant plus d’un an contre les militants syndicaux, notamment à propos de la constitution d’un syndicat à eux par des travailleurs de l’usine Jasic. Plus d’une centaine de travailleurs, d’étudiants, de personnels d’ONG et même du syndicat officiel ont été convoqués par la police qui les a parfois relâchés avant de les menacer et de les harceler, d’autres ont été arrêtés pour être détenus ou ont disparu. Voici les noms de ceux qui furent victimes de ces interpellations entre le 9 novembre 2018 et le 20 janvier 2019 (liste de 137 militants établie par des militants chinois à la fin de l’été 2019).
Membres du groupe de soutien aux travailleurs de Jasic harcelés et/ou interpellés par la police le 9 novembre 2018 : les étudiants diplômés Zhang Shengye, Sun Min, Zong Yang, Zheng Yiran, Lv Daxing, Li Xiaoxian ; les bénévoles du centre social de la jeunesse Qingying (généralement des étudiants diplômés) He Pengchao, Wang Xiangyi, Jian Xiaowei, Kang Yanyan, Hou Changshan, Wang Xiaomei, He Xiumei ; les membres du syndicat officiel ACFTU du district Zou Liping et Li Ao ; les ouvriers Liang Xiaogang, Wang Guixia, Wu Xuwen, Tang Qinhua, Dai Huifang, Li Yuanzhu, et le 11 novembre Zheng Shiyou, Tang Xiangwei, ainsi que l’étudiant Yu Tianfu ; de même que l’étudiant Feng Junjie le 23 novembre.
Membres du groupe de soutien aux travailleurs de Jasic harcelés et/ou interpellés par la police en décembre 2018 : l’étudiant Qiu Zhanxuan, président de la Société marxiste de l’université de Pékin, les ouvriers Cao Jian, Huang Lanfeng, Hu Zhi, Chen Yeling, Yu Kailong, Li Yuanzhu, Mu Yingshan.
Etudiants diplômés et défenseurs des droits ouvriers harcelés et/ou interpellés par la police en janvier 2019 : Zhan Zhenzhen, auteur d’un rapport sur la condition des travailleurs du campus de l’université de Pékin, les ouvriers Zhang Zeying et Lan Zhiwei, les étudiants Liang Ran, Ma Tiequn, Han Peng, Huang Siyu, Jin Shuai, Hu Wei, Zhu Xuejing, Cui Zhiyang, l’éditeur du site d’information sur les grèves et les droits ouvriers iLabour Yang Zhengjun, l’étudiant Wang Mengjie, le vigile Wang Ji’ao.
Les défenseurs des droits ouvriers arrêtés et détenus : Zhang Zhiru, Jian Hui, Song Jiahui, tous du Centre des conflits du travail Chunfeng à Shenzhen ; He Yuancheng, du cabinet d’avocats Laowei ; le syndicaliste Wu Guijun.
L’état des relations de travail en Chine en 2019
Première partie d’un rapport de China Labour Bulletin (extraits)
À la fin de 2019, il y a eu un grand tollé en Chine à propos des informations selon lesquelles Li Hongyuan, un ancien employé de Huawei, géant chinois de la technologie, avait été détenu pendant huit mois par les autorités de Shenzhen, apparemment à la demande de Huawei, après avoir demandé à son ancien employeur une indemnité de départ et une prime annuelle. Pour de nombreux salariés de la classe moyenne en Chine, l’affaire a confirmé un sentiment croissant de malaise et la prise de conscience que, aux yeux de leur employeur, ils n’étaient rien de plus qu’une ressource à exploiter qu’on pouvait jeter. Ce qui était arrivé à Li Hongyuan, leur semblait-t-il, pourrait tout aussi facilement leur arriver.
Des dizaines de milliers de professionnels bien rémunérés de l’industrie des technologies ont perdu leur emploi en 2019 en raison de la concurrence pour la domination du marché combinée au ralentissement de l’économie, ce qui a conduit à la faillite de centaines de start-ups technologiques, y compris plusieurs prétendues « licornes » [Ndlr : start-ups évaluées à plus de 1 milliard de yuans]. Beaucoup de salariés, tels ceux de l’américain Oracle à Pékin, ont dû entreprendre de longues actions collectives pour toucher des indemnités de départ avant d’être licenciés.
Les employés qui avaient encore un emploi se sont rebellés contre des durées du travail excessivement longues (les « 996 » : 9h-21h, 6 jours sur 7) exigées par leur employeur et ont ouvertement rejeté cette « culture du loup » développée par Huawei, qui met l’accent sur la loyauté et le dévouement à l’entreprise avant tout. (…) Le mécontentement des jeunes travailleurs face à l’état actuel des relations de travail s’est intensifié en avril avec la révélation que le principal fonds de retraite financé par l’Etat serait complètement à sec en 2035, juste au moment où ceux nés dans les années 1980 espéraient prendre leur retraite. Il se pourrait que 2019 marque un changement fondamental dans les valeurs des cols blancs en Chine. De nombreux jeunes travailleurs ne sont plus disposés à travailler de longues heures ni à accepter les difficultés que leurs parents ont endurées afin de rêver d’une vie meilleure; au lieu de cela, ils se concentrent sur une paie décente pour un travail décent et un équilibre sain entre vie professionnelle et vie privée.
Mais pour la plupart des « cols bleus », il y avait un préoccupation plus fondamentale : être payé. Sur les 1386 manifestations collectives de travailleurs recensées par China Labour Bulletin en 2019, 1159 concernaient le non-versement d’arriérés de salaires. Et c’est encore le secteur de la construction qui représentait 43% de toutes les manifestations, où les problèmes étaient le plus graves. Malgré les promesses répétées du gouvernement de résoudre ce problème, 99% de toutes les protestations enregistrées l’année dernière étaient liés au non-paiement des salaires. (…)
L’une des tendances les plus notables a été la croissance des protestations collectives dans le secteur des services, en plein essor, et le déclin relatif de celles des travailleurs d’usine. (…) Cette augmentation a été particulièrement forte l’année dernière, passant de 16% à 23% de toutes les manifestations, avec les employés de magasin, les vendeurs, les personnels de restauration et d’hôtellerie, balayeurs, personnels hospitaliers et employés de l’industrie des loisirs. Cette tendance a été illustrée par le grand nombre de protestations collectives des employés dans les centaines de gymnases et centres de fitness qui ont fermé en Chine l’année dernière.
(A suivre)
En bref…
– A Hong Kong, l’heure est au tribunaux. A la date du 2 janvier, environ 7 000 personnes avaient été arrêtées et 1051 étaient poursuivies. Mais on manque de personnel ! Il y a un problème d’effectifs chez les juges et les magistrats : seulement 156 des 218 postes ont été pourvus en mars 2019 (« SCMP », 14 janvier). Qu’importe, « l’administration fournira les ressources supplémentaires », a déclaré Lam, la cheffe du gouvernement. « Augmenter les heures d’audience sans augmenter les effectifs ne résoudra pas le problème, car vous ne pouvez pas espérer qu’un juge travaille sans interruption pendant 18 à 20 heures par jour», rétorque un magistrat. Notons en passant que l’hebdomadaire chinois diffusé en Asie « Yazhou Zhoukan » a choisi comme « Personnalités de l’année 2019 »… la police de Hong Kong !
– La jeune Huang Xueqi, militante des droits des femmes, qui avait été arrêtée et détenue à Guangzhou en octobre dernier sous le motif passe-partout de « semer la discorde et provoquer des troubles », a été libérée le 10 janvier. En fait, elle avait témoigné des manifestations de Hong Kong en se rendant sur place.« Elle est en bonne santé et a bon moral. Ses activités sont désormais limitées et elle est sous haute surveillance. Et la police a gardé son passeport, son ordinateur et son téléphone portable », a déclaré un ami. Elle-même a envoyé un message à ses amis : « Une seconde dans les ténèbres ne vous rend pas aveugle »…
– Présidente réélue à Taiwan : « Plombée par des controverses de politique intérieure qui dressèrent l’opinion contre elle, y compris dans son propre parti, avec des polémiques autour du mariage gay, de la réforme des retraites, de la pollution, des lois travail, encore aggravées par une affaire de contrebande de tabac impliquant ses gardes du corps, la direction de China Airlines et des membres de la sécurité nationale, les intentions de vote en sa faveur sont restées à ce faible niveau de plus ou moins 35% jusqu’à la fin mai », écrit « Question Chine » (13 janvier) à propos de la présidente sortante Tsai Ing-wen, finalement réélue en relation directe avec les manifestations et la répression à… Hong Kong : elle n’a remonté dans les sondages qu’à partir de l’obstination de Carrie Lam sur la loi d’extradition, martelant que « le peuple de Hong Kong a montré que “un pays, deux systèmes” n’est pas du tout tenable ».