INFORMATION
Répression… Les autorités du Guangdong disent relâcher sous caution les personnes arrêtées depuis trente jours dans les manifestations de fin novembre dans l’attente de leur procès. Mais Yang Zijing, arrêtée le 4 décembre à Guangzhou, n’a pas réapparu, selon sa mère. C’est aussi le cas de jeunes arrêtés à Pékin et à Shanghai.
ÉDITORIAL
Le chaos après la panique. Trois semaines après sa décision d’abandonner brutalement la politique du « zéro-Covid », le pouvoir constate qu’il a semé un véritable chaos : les centres de tests ont disparu des rues et des quartiers, les hôpitaux sont engorgés par les malades et les urgences débordées, le nombre des décès explose, à voir les funérariums surchargés avec des jours d’attente avant l’incinération des défunts. Désormais, c’est la course au rappel de vaccination, aux médicaments, la file d’attente interminable devant les cliniques pour les tests antigéniques…
Car le virus s’est diffusé à grande vitesse parmi une population qui n’est que très peu immunisée. Plusieurs hôpitaux de Pékin ont ainsi vu beaucoup de médecins et de personnels soignants frappés par le virus ; en province aussi le personnel de santé est touché : un médecin estime que 20 % du personnel médical de son hôpital a été infecté et que ce pourcentage atteint 50 % dans les « cliniques de la fièvre » et le service des urgences. Les plus sombres scénarios prédisent 1 million de décès d’ici à fin janvier, alors que les officiels en sont toujours à comptabiliser 5 246 morts depuis le début de l’épidémie…
Tout manque ! Officiellement, au 20 décembre, 37 millions de personnes étaient testées positives chaque jour et 250 millions avaient été contaminées. Dans la seule province du Zhejiang, 1 million de nouveaux cas apparaissaient chaque jour ! Les pharmacies se retrouvent à court de médicaments contre la fièvre, car les fabricants manquent de personnels à cause des malades ; les sociétés de livraison pour les envois d’urgence de médicaments et produits de première nécessité sont elles-mêmes à court de livreurs…
Dans les grandes villes, on fait appel à des coursiers et livreurs des provinces : des milliers de coursiers de JD.com, STO Express et SF Express ont ainsi été transférés à Pékin mais YTO Express a déclaré être confronté à une pénurie de main-d’œuvre, malgré le doublement des salaires.
Le Premier ministre Li Keqiang a appelé en ce début d’année à « prendre des mesures plus énergiques pour assurer l›approvisionnement et la stabilité des prix des produits de première nécessité, des produits médicaux et de l›énergie », signe de l’impréparation des autorités face à l’abandon du « zéro-Covid ». La sinologue Marie Holzman constate : « C’est une véritable débâcle. Rien n’est préparé, ni les médias, ni les consignes, ni la stratégie. »
Ceux qui prétendent tout diriger. L’offre, la demande et l’emploi du secteur manufacturier ont encore ralenti en décembre, et l’emploi s’est contracté pour le neuvième mois consécutif, sans aucun signe de reprise, indique la revue « Caixin » (3 janvier). Les chiffres du Bureau d’État des statistiques le confirment : les 31 plus grandes villes ont enregistré un taux de chômage de 6,7 % en novembre et, parmi les travailleurs âgés de 16 à 24 ans, 17,1 % étaient au chômage.
Voilà un pays où les secteurs clés de l’économie, les banques, le crédit, sont entre les mains de l’État et où ceux qui le dirigent sont incapables d’enrayer une épidémie et le chômage ! Par exemple, il y a aujourd’hui de moins en moins de sites de tests. Alors, que vont devenir les millions de travailleurs médicaux, techniciens de laboratoire, personnels temporaires et vigiles qui faisaient partie du système de tests de masse ?
Grève et manifestations des chauffeurs. Les patrons n’ont pas renoncé à licencier et à réduire les coûts, pas seulement chez les livreurs : ByteDance, la société mère de TikTok, a licencié des centaines d’employés à la fin de 2022, rapporte Reuters (3 janvier). Le géant des téléphones Xiaomi avait déjà commencé à licencier 10 % ses effectifs, soit plus de 35 000 en Chine (Reuters, 20 décembre).
Mais les travailleurs, eux, n’ont pas renoncé à défendre leurs intérêts en ces temps très difficiles : 1 700 incidents, protestations, grèves, manifestations dans les six derniers mois relevés par « China Labour Bulletin ». On l’a vu lorsque Foxconn a tenté de les gruger, mais aussi quelques jours auparavant lorsque des milliers de chauffeurs de camion et fourgonnette avaient entrepris de se mettre en grève. Coordonnant leurs efforts à travers le pays (voir au verso), tout comme avaient procédé les grévistes du promoteur immobilier Evergrande et les livreurs de repas, les chauffeurs avaient rassemblé une telle force qu’ils ont manifesté dans plusieurs villes. Et que le ministre des Transports a même dû intervenir…
À qui le pouvoir de décider ? Il était de la responsabilité du gouvernement et de diverses autorités publiques d’assurer la distribution des médicaments, des denrées et des articles pour la vie quotidienne des ménages. Mais, écrivent des militants, « derrière l’interdiction faite aux livreurs de retourner chez eux se cachent le renoncement des pouvoirs publics à assumer leurs obligations et l’exploitation de ces livreurs ». Qui a le pouvoir de décider, sinon ceux qui qui monopolisent le pouvoir politique par la répression ? Et avec cette nouvelle politique sanitaire, ils montrent leur incapacité à répondre aux besoins de la population en hôpitaux, personnels soignants et équipements sanitaires.
La sinologue Chloé Froissart explique qu’« il y a une fragilisation du parti et du régime, une coupure entre le pays réel et les hautes sphères du parti. Il y a une fuite en avant. Le parti ne se soucie plus des besoins de la population » (conférence Inalco, 16 novembre). Nul ne peut dire ce qui se passera lorsque des millions de voyageurs auront retrouvé leur famille pour le nouvel an, dans trois semaines.
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DOCUMENTS
« Qui peut circuler ? C’est la production pour les capitalistes qui décide »
Nous publions ici la première partie de cette contribution de militants chinois qui vise à tirer les leçons des événements de l’année passée.
À la fin de 2022, la politique du « zéro-Covid », qui avait duré près de trois ans dans le pays, a pris fin. Les trois années de janvier 2020 à décembre 2022 ont été une période de souffrances et de tragédies en raison de la politique inhumaine de prévention et de contrôle. Si ce changement de politique peut offrir un répit temporaire aux opprimés, cette « liberté » ne promet pourtant pas un retour à une société prétendument « normale ».
La mobilité contrôlée ou l’exploitation pendant l’épidémie
Le contrôle de l’épidémie passe en fait par le contrôle de la mobilité des personnes : l’État choisit de restreindre la circulation des personnes pour limiter la circulation du virus, mais afin de maintenir la production économique, l’État veut assurer la « mobilité économique ». Ainsi, le système de « contrôle normalisé » n’autorise que les mouvements contrôlés et surveillés qui contribuent à la production, tout en excluant, autant que possible, les autres mouvements dits « non essentiels », au nom de la protection de la santé des personnes. Mais qui a le pouvoir de décider quels mouvements sont nécessaires et lesquels constituent une menace pour la santé et la sécurité de la société ? Le pouvoir ultime d’interprétation est fermement entre les mains de l’appareil d’État et du grand capital.
L’expérience des livreurs de repas et denrées dans tout le pays est représentative de ce qui arrive aux travailleurs : ils sont autorisés à se déplacer lorsqu’ils livrent des produits essentiels, en ville, mais il leur est interdit de le faire lorsqu’ils veulent rentrer chez eux le soir pour se reposer. L’an passé, on a vu un grand nombre de livreurs dormir dans les rues, sous les ponts et dans des tunnels la nuit, lors de confinements généralisés à Shanghai, Shenzhen ou Zhengzhou. Derrière l’interdiction faite aux livreurs de retourner chez eux se cachent le renoncement des pouvoirs publics à assumer leurs obligations et l’exploitation de ces livreurs. Les travailleurs des plates-formes de vente à emporter, employés de manière informelle et ne bénéficiant d’aucune sécurité de l’emploi, ont assumé ce qui était en fait de la responsabilité des gouvernements : la distribution de médicaments et d’articles pour les ménages. Salaires inférieurs, risques plus élevés et insécurité de l’emploi, mais ce sont ces livreurs de repas, ces chauffeurs de camion et les ouvriers des usines en isolement qui font fonctionner l’économie d’une ville pendant le confinement.
Qui peut circuler ? C’est la production pour les capitalistes qui décide
Alors que les livreurs pouvaient circuler pendant le confinement, les travailleurs migrants qui n’étaient pas dans les industries « essentielles », dans les villages autour des villes, se voyaient limités dans leurs déplacements, voire interdits, coupés de toute production et de toute vie. Les usines locales ont cessé de fonctionner et il leur est devenu extrêmement difficile de quitter la ville en raison des confinements. Même s’ils ont pu retrouver leur logement, les travailleurs migrants avaient trop peu d’économies pour survivre à la fermeture et ont dû affronter la disette.
(À suivre)
Déclaration sur Foxconn et les protestations contre le zéro-Covid en Chine
Collectif Dove and Crane*, 28 novembre 2022 (extraits)
Le collectif Dove and Crane (CDC) est solidaire des travailleurs de Foxconn, ainsi que des étudiants et des résidents qui se soulèvent pour protester dans toute la Chine. CDC demande la libération immédiate de tous les étudiants, travailleurs et manifestants arrêtés à Urumqi, Shanghai, Chengdu, Pékin, Nanjing, Wuhan et Guangzhou, entre autres villes. Nous demandons instamment à l’État chinois de se conformer à sa Constitution, qui garantit la liberté d’expression, de la presse, de réunion, d’association, de rassemblement et de manifestation. En outre, nous demandons à l’État chinois de mettre fin aux politiques draconiennes et désordonnées adoptées sous le couvert de zéro-Covid, de mettre fin au modèle de « production en circuit fermé » mis en œuvre dans diverses entreprises sous la direction du gouvernement, et d’envisager des moyens alternatifs de contrôle de la pandémie qui soient fondés sur les contributions démocratiques des citoyens et les conseils des experts en santé publique. (…)
Ces dernières années ont vu l’expansion des secteurs précaires en Chine pour maintenir la rentabilité des entreprises au détriment des travailleurs. Une grande partie de ces profits, rendus possibles par une alliance entre l’État et les entreprises, profite directement aux élites chinoises et à ceux qui vivent dans l’hémisphère Nord.
En ce sens, nous pouvons interpréter les abus de Foxconn à Zhengzhou et la résistance des travailleurs comme un prélude à cette nouvelle vague de bouleversements sociaux. Même avant la pandémie de COVID-19, Foxconn était connu pour ses conditions de travail et ses pratiques horribles. Foxconn employait régulièrement des travailleurs détachés (travailleurs avec des contrats temporaires irréguliers) dans ses usines, en violation flagrante des lois chinoises sur le travail, embauchait des soi-disant « stagiaires » issus de lycées professionnels pour travailler sur ses lignes de production avec une faible, voire aucune, rémunération. (…)
Cela montre la véritable nature de la coopération entre les États-Unis et la Chine aux dépens de la classe ouvrière : les méga-corporations américaines qui détruisent les syndicats passent des contrats avec Foxconn, une société taïwanaise, pour profiter des conditions de travail autoritaires en Chine et réaliser d’énormes profits.
(…) L’ACFTU, le seul syndicat autorisé en Chine, n’est pas du tout intervenu à Foxconn, restant totalement silencieux. CDC est solidaire des travailleurs de Foxconn, des militants chinois d’outre-mer et d’autres alliés aux États-Unis qui sensibilisent le public à leurs droits, ainsi que des travailleurs du monde entier qui luttent pour leur dignité et leur survie. (…)
* Le collectif Dove and Crane se définit comme un groupe de militants progressistes des diasporas aux États-Unis qui condamnent le conflit entre les États-Unis et la Chine, le pouvoir des multinationales et promeuvent le statut de la classe ouvrière au-delà des frontières et les droits démocratiques, civils et humains pour tous.
La grève de trois jours des chauffeurs
Huolala est une plate-forme (connue aussi sous le nom de Lalamove) qui met en relation des chauffeurs et véhicules (plus de 660 000) avec des clients pour le transport de marchandises.
Les chauffeurs se sont mis en grève les 16, 17 et 18 novembre dans plusieurs grandes villes, notamment dans le Guangdong : ils étaient 1 000 chauffeurs à manifester à Shenzhen, 400 à Dongguan et aussi à Foshan. Des conducteurs de Wuhan, Changsha et Wenzhou se sont associés à la grève ou à d’autres formes de mobilisation.
Les chauffeurs de Guangzhou ont ainsi soumis une liste de seize revendications liées aux récents changements imposés par l’entreprise, qui ont entraîné une réduction de 20 % de la rémunération des chauffeurs. Comme pour les livreurs de repas, par exemple à Hong Kong, la baisse des revenus des chauffeurs tient à une modification des conditions dictées par la plate-forme, par exemple avec un nouvel algorithme qui calcule la distance non en fonction du trajet réel mais de la ligne droite.
« L’appel à la grève et la protestation en ligne se sont rapidement répandus, attirant également l’attention du gouvernement. Au deuxième jour de la grève, Huolala et d’autres entreprises de logistique ont été convoquées par le ministère des Transports qui leur a demandé de modifier leurs pratiques au bénéfice des travailleurs. Le ministère a déclaré que les entreprises avaient “gravement porté atteinte aux droits et intérêts légitimes des chauffeurs routiers et perturbé l’ordre de la concurrence loyale sur le marché”. Huolala est revenu sur certaines de ses nouvelles politiques et a procédé à d’autres ajustements. Un chauffeur dit que c’est un pas en avant, mais qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir pour donner satisfaction aux chauffeurs », rapporte « China Labour Bulletin » (6 décembre).