Lettre d’information n°589, 15 décembre 2022

VU

Shein est un marchand chinois de vêtements bon marché : « Les employés de deux de ses usines en Chine faisaient des journées de 18 heures et ont reçu des amendes pour avoir commis des erreurs », rapporte un documentaire britannique. Ni le Parti ni le syndicat n’étaient au courant…

ÉDITORIAL

Virage sur les chapeaux de roue ! La politique du zéro Covid décidée par Xi Jinping et la direction du Parti communiste chinois au pouvoir est abandonnée du jour au lendemain à compter du 7 décembre. Voilà donc un pouvoir tout-puissant, qui a contrôlé, quadrillé, confiné, matraqué et arrêté pendant trois ans au nom de l’application de cette politique qui se trouve contraint de renoncer à sa politique ! Comment ne pas y voir le résultat des manifestations populaires dans une vingtaine de grandes villes fin novembre contre cette politique ? Comment ne pas y voir, après la mobilisation ouvrière victorieuse à Foxconn, la peur d’un soulèvement massif des travailleurs alors que les usines ferment leurs portes faute de personnel et que le travailleur ne parvient plus à nourrir sa famille ? Les ventes au détail ont officiellement baissé de 5,9 % en novembre et la production industrielle a progressé d’un tout petit 2,2 %, au lieu de 5 % le mois précédent.

Dans ces manifestations, on a chanté L’Internationale, le chant des exploités et des opprimés de par le monde. C’est un chant pour l’émancipation, appelant à se débarrasser des voleurs et des tyrans, à « décréter le salut commun ».

L’Internationale interdite ! En 2006, « lors d’un “Forum de l’éducation des employés d’entreprises”, les organisateurs ont fait part avec le plus grand sérieux d’une “nouvelle tendance” : pour construire une “société harmonieuse” et prévenir les conflits du travail, certaines autorités locales ont édicté l’interdiction absolue de diffuser et d’entonner L’Internationale au cours des réunions – professionnelles ou non – auxquelles participent des travailleurs permanents ou intérimaires. Autrement dit, ce “chant révolutionnaire sacré” qui avait fait s’unir tous les prolétaires du monde est aujourd’hui jugé nuisible aux salariés ou travailleurs intérimaires, ces nouveaux prolétaires, et cela au nom de la “stabilité avant tout” », rapportait la revue « Courrier International » (31 mai 2006).

Mais « les forçats de la faim, les damnés de la terre » n’en peuvent plus de cette politique, et le pouvoir le sait ! Car pour qui s’intéresse à ce qui se passe dans les tréfonds de la société, d’abord au sein de la classe laborieuse, le constat est là : travailler à en être surexploité ne suffit même plus à joindre les deux bouts. Des millions de travailleurs migrants, venus des campagnes, souffrent dans les villes, contraints de dormir à l’usine à même le sol, les livreurs de repas et denrées diverses dorment sous les ponts, dans la rue, dans les gares…

« Pour que le voleur rende gorge », dit encore le chant. Les ouvriers de Foxconn se sont mis en grève et ont manifesté deux jours durant, parce que la direction de Foxconn leur avait volé les primes et salaires promis à l’embauche et les patrons ont finalement cédé et versé leur dû aux travailleurs. Ils ont « rendu gorge » ! Sur le réseau social Weibo, on lisait (23 novembre) : « Foxconn, ce sont des ordures, ils ont utilisé la police armée pour réprimer les travailleurs, de nombreux travailleurs ont été blessés, et le gouvernement de la ville de Zhengzhou est de connivence avec eux pour intimider les travailleurs ordinaires. »

Le pouvoir aide le patron contre l’ouvrier. Mais, constate un internaute, « une nette majorité de personnes s’expriment en faveur des travailleurs de Foxconn. Ils postent de vieilles affiches de propagande qui soulignent comment la classe ouvrière chinoise prendra la direction de la révolution », « je suis tellement bouleversé par cette situation, il est temps de se réveiller ! », écrit l’un. « Quelle est la première phrase de l’hymne national ? : « Levez-vous, vous qui refusez d’être des esclaves !» », écrit un autre. Cette situation peut-elle durer ?

Seize livreurs. Un livreur de repas et ses quinze collègues embauchés par Meituan, un géant de la livraison, ont dû lancer fin novembre (revue « Sixth Tone », 23 novembre) un appel sur le réseau social WeChat pour trouver un endroit où dormir : ils avaient jusque-là dormi dans des stations de livraison, des immeubles de bureaux et des restaurants au cours des derniers jours, mais tout était fermé désormais. Meituan n’avait sans doute pas les moyens de leur payer l’hôtel… Tencent, le géant de la technologie qui était son actionnaire principal, a en effet décidé une semaine plus tôt de faire un cadeau à ses actionnaires : il leur a distribué ses 20 milliards d’euros d’actions Meituan ! Ils ne font « que dévaliser le travail, dans les coffres-forts de la banque, ce qu’il a créé s’est fondu », dit encore L’Internationale.

Autre exemple ? Les ouvriers des chantiers de construction courent après leurs salaires et les petits propriétaires attendent la livraison de leur logement. Mi-novembre, les autorités de la banque et de l’assurance ont promis que les banques octroieraient à nouveau des prêts aux sociétés immobilières. Aussitôt, les actions en Bourse des promoteurs ont explosé : les deux dirigeantes et actionnaires principales de Country Garden et de Longfor ont empoché en quelques heures respectivement 2,2 et 1,1 milliards d’euros !

Panique. Le tournant de la politique sanitaire a semé la panique. Déjà, on demande aux établissements scolaires de recourir à l’enseignement en distanciel, à certains fonctionnaires et employés de télétravailler ou de rester jour et nuit au bureau. Les hôpitaux sont débordés, car on ne teste plus, on ne vaccine pas ou peu – une étude suggère des rappels massifs de vaccination pour éviter 1 million de décès ! –, et le quotidien du Parti « Global Times » (16 décembre) rapporte que le gouvernement s’inquiète des retards de livraison des médicaments et produits de première nécessité. Sans parler des livreurs frappés par la maladie ! Un directeur de SF Express à Pékin explique que le virus a éliminé la moitié de ses 18 000 livreurs…

« La Lettre » poursuit la publication de quelques documents reçus. « Le peuple parle, l’entendez-vous ? », par exemple, pose la question de la reconstruction d’une société démocratique. L’année 2023 sera riche en événements. Puisse-t-elle voir enfin les travailleurs et la jeunesse s’organiser librement !

Meilleurs vœux à tous nos lecteurs !

DOCUMENTS

« Le peuple parle, l’entendez-vous ?

Extraits d’un texte écrit le 28 novembre, second jour des manifestations populaires.

« Si le gouvernement ne peut pas protéger les moyens de subsistance, les droits de l’homme et la liberté des gens, alors il ne devrait pas utiliser cette “protection paternaliste” pour continuer à tromper le public et exagérer la peur face au nouveau virus. Aujourd’hui, combien de travailleurs ordinaires n’ont plus les moyens de manger, de rembourser leurs dettes ou de subvenir aux besoins de leur famille ? Mais le gouvernement ne fournira d’allocations de secours qu’aux grandes entreprises. Le gouvernement doit s’excuser solennellement auprès du peuple !

Nous nous engageons pleinement à participer aux manifestations spontanées à travers le pays. Nous exigeons la libération inconditionnelle de tous les étudiants, travailleurs et citoyens arrêtés et détenus pour s’être opposés au confinement.

La colère des travailleurs de Foxconn et le chagrin après l’incendie d’Urumqi ont poussé d’innombrables citoyens à travers le pays à descendre spontanément dans la rue. Nous avons été témoins de trop de souffrances et de chagrin dans ce pays, nous pouvons peut-être survivre aujourd’hui, mais qui sait si une tragédie ne nous frappera pas demain ?

Nous n’avons jamais été traités comme des citoyens à l’esprit indépendant et avec une pensée libre. Nous sommes des êtres humains ! Tous nos droits doivent être pleinement respectés et non arbitrairement réprimés. Dans les rues d’Urumqi, de Shanghai, de Pékin, de Guangzhou, de Wuhan, de Chengdu et d’ailleurs, un grand nombre d’étudiants, de travailleurs et de citoyens ont clamé “Arrêtez le confinement et les contrôles, nous voulons la liberté”, “Nous ne voulons pas de test, nous voulons manger”.

De nombreux manifestants ont été violemment arrêtés et emmenés. Le gouvernement n’a donné aucune explication et la situation des manifestants est inconnue. Notre peuple ne l’acceptera jamais, nous exigeons que le gouvernement libère immédiatement et sans condition tous les étudiants, travailleurs et citoyens arrêtés et détenus. Nous voulons obtenir la pleine protection de nos droits constitutionnels et lutter pour les libertés d’expression, d’association et de presse ; nous voulons reconstruire la démocratie dans les quartiers et sur les lieux de travail.

D’innombrables messages sont constamment en erreur “404” et c’est devenu une norme de vie absurde. Lorsque je me réveille chaque matin, toutes les vidéos et publications de WeChat liées à la critique des politiques officielles sont bloquées, alors que les comptes officiels du gouvernement sont toujours mis à jour.

Nous sommes privés du droit de discuter, de nous exprimer et même de penser, droits clairement inscrits dans la Constitution ! La longue période d’arbitraire du gouvernement et de violation des droits civils dans le passé a fragmenté et atomisé les communautés dans lesquelles nous vivons. Tout en nous efforçant de débloquer cette situation, nous devons reconstruire une vie communautaire et un lieu de travail plus cohérents, unis et démocratiquement autonomes. Construire une vie publique plus stable et solide, et c’est notre point de départ pour être autonome et pour la défense de notre patrie.

Les trois dernières années ont été une expérience commune de douleur et de dépression pour nous tous ; mais ces derniers jours et ces dernières nuits sont le chagrin et le souvenir collectifs les plus précieux de notre génération. Nous n’avons pas perdu espoir de changement, nous n’avons jamais cessé d’être en colère. Nous vivons et assistons au premier rang à ce moment. L’incendie d’Urumqi ne sera pas la dernière tragédie de l’époque. Mais en ce moment, nous avons le pouvoir d’empêcher la tragédie de continuer. Au moins, essayons ! »

« La plus grande mobilisation de la société chinoise depuis des années »

Contribution de militants socialistes chinois (Continent et Hong Kong), 28 novembre

«Étudiants et travailleurs dans toute la Chine sont descendus dans la rue pour demander des comptes sur la politique du «zéro Covid», qui les prive de leurs droits et met leur sécurité en danger. Une fois de plus, la population du Xinjiang a dû faire les frais des politiques répressives du pouvoir dans l’horrible incendie d’Urumqi. Mais aujourd’hui, la région où vivent des citoyens parmi les plus marginalisés du pays est devenue l’étincelle de ce qui est probablement la plus grande mobilisation de la société chinoise depuis des années. Plus que jamais, les Chinois hans du Xinjiang et des autres provinces doivent continuer à mettre au centre la lutte des Ouigours et des minorités opprimées et à se battre à leurs côtés. Nous demandons que les responsables rendent des comptes aux victimes de l’incendie d’Urumqi et appelons à un changement radical du système :

Nos revendications :

– Abolir les confinements actuels qui retiennent les gens de force dans leurs maisons, les privant de l’accès aux besoins de base.

– Abolir les tests PCR forcés pour le Covid.

– Permettre aux personnes infectées de s’isoler chez elles, tandis que celles qui présentent des symptômes graves ont le droit d’être traitées à l’hôpital ; annuler le transfert forcé et l’isolement des personnes infectées et non infectées dans des hôpitaux de fortune.

– Fournir le choix parmi divers vaccins, permettant aux individus de choisir leurs soins de santé.

– Libérer Peng Zaizhou, manifestant du pont Sitong, et tous les autres détenus politiques arrêtés depuis les manifestations.

– Appeler à un deuil national pour les décès causés par les mesures de confinement irresponsables.

– Garantir la démission des bureaucrates responsables de la mauvaise gestion de la pandémie.

– Les mesures de contrôle de la pandémie doivent être fournies par des experts médicaux et menées démocratiquement parmi la population.

– Garantir les droits des citoyens à la liberté d’expression, de réunion, d’organisation et de protestation.

– Soutenir le pouvoir indépendant des travailleurs dans et au-delà de ces protestations ; abolir les pratiques anti-ouvrières comme l’horaire de travail en « 996 » et renforcer les protections du droit du travail, y compris la protection du droit de grève et d’auto-organisation des travailleurs, afin qu’ils puissent participer plus largement à la vie politique.

Stratégies

– Si quelqu’un est menacé par la police, les autres doivent se lever pour le soutenir.

– Nous ne devons pas empêcher d’autres de scander des slogans plus radicaux, mais essayer de donner la priorité aux demandes positives et concrètes de changement du système.

– Les changements au niveau des autorités politiques au sein du système seraient sans effet si nous ne démocratisons pas complètement le système lui-même.

– Éviter la tactique risquée de l’occupation à long terme des rues et des places ; opter pour une mobilisation de type « être comme l’eau » pour empêcher les autorités de réprimer trop facilement les manifestants.

– Au-delà de la protestation, renforcer l’entraide et l’auto-organisation au sein des communautés et des lieux de travail.

Nous ne savons pas comment ce mouvement va se développer, mais nous continuons à encourager l’organisation indépendante de masse des étudiants, des travailleurs et d’autres groupes marginalisés sur le continent et à l’étranger, y compris les Hongkongais, les Taïwanais, les Ouigours et les Tibétains, afin de poursuivre la construction d’un programme stratégique à long terme pour la lutte démocratique en Chine. » (Source : « Lausan »)

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