VU
Un internaute, vite censuré, a écrit à propos des manifestations de fin novembre dans de grandes villes du pays : « Ce soir, la lumière a percé la nuit. Tout est sur le point de commencer. »
ÉDITORIAL
À Urumqi, capitale de la province du Xinjiang où bien des quartiers sont confinés depuis plus de trois mois, un incendie s’est déclaré vendredi 25 novembre dans un grand immeuble d’habitation. Des résidents n’ont pu s’échapper à temps, des barrières de confinement ayant en outre entravé le plein accès des pompiers au sinistre. Bilan officiel : 10 morts. La nouvelle de cette tragédie s’est répandue comme une traînée de poudre dans un univers déjà au bord de l’explosion. Et dans la soirée, des manifestants ouïghours et hans défilant ensemble et portant un immense drapeau chinois se sont rassemblés devant l’hôtel de ville pour dénoncer les autorités responsables et exiger la fin du confinement. Alors ont retenti les chants de l’hymne national – qui débute par « Levez-vous, vous qui ne voulez plus être esclaves ! » – et de L’Internationale, le chant des exploités et des opprimés.
Un déferlement spontané. Et puis en quelques heures le lendemain, la colère devant une telle tragédie a déferlé dans tout le pays, car cet incendie d’Urumqi fait suite à un accident de car tombé dans un ravin en pleine nuit de septembre, car qui transportait 27 personnes dans un centre de quarantaine, à des suicides de désespoir, à des décès faute de soins en raison de confinements sauvages et arbitraires.
Ainsi, Wuhan a vu surgir des milliers de jeunes, d’habitants qui voulaient rendre hommage aux victimes de l’incendie, défilant et abattant les barrières de confinement. À Shanghai, des lieux de recueillement improvisés se couvraient de bougies, les manifestants brandissaient des feuilles blanches symbolisant la censure : « Pas besoin d’écrire quoi que ce soit, tout le monde sait pourquoi on est là. » Partout, on criait « Assez de tests Covid, liberté d’expression ! ». « On n’a pas besoin de tests Covid, on a besoin de manger », entend-on à Pékin, où on chante L’Internationale dans la rue et à la célèbre université Tsinghua.
Au total, on compta une cinquantaine de manifestations dans une quinzaine de grandes villes : Urumqi, Shanghai, Pékin, Nanjing, Guangzhou, Xian, Zhengzhou, Wuhan, Chengdu, Changsha, Chongqing… On lira au verso quelques éléments de ces manifestations.
Tout devenait insupportable. La révolte ouvrière contre l’exploitation qui avait éclaté à Foxconn quelques jours auparavant a nourri et conforté cette mobilisation dans toutes les grandes villes du pays contre les mesures bureaucratiques de confinement anti-Covid et plus généralement contre le régime d’oppression imposé par le Parti communiste chinois au pouvoir. Voici décrit le chaos organisé par les bureaucrates : « Les codes verts sont obligatoires partout, même pour rentrer chez soi. Et à la fois les cabines de test Covid sont de plus en plus rares dans les rues. Sans parler des quarantaines à rallonge dans différentes villes. Résultat : de nombreuses personnes perdent leur emploi. Le doute s’installe dans les esprits. »
Un autre sur les réseaux sociaux : « J’étais celui qui a sauté du haut du bâtiment, j’étais dans le bus qui s’est renversé, j’étais celui qui a quitté Foxconn à pied, j’étais celui qui est mort de froid sur la route, j’étais celui qui n’a eu aucun revenu pendant des mois et ne pouvait pas se permettre d’acheter un petit pain aux légumes et j’étais celui qui est mort dans l’incendie. Même si aucun d’entre eux n’était moi, la prochaine fois, ça pourrait très bien être moi. ». Tout devient insupportable, aujourd’hui plus qu’hier encore.
Le pouvoir mis en cause. Parce qu’ils s’arrogent le droit et le pouvoir de tout décider, les bureaucrates au pouvoir portent donc seuls la responsabilité de toutes les conséquences de l’épidémie : de l’escroquerie et de l’exploitation éhontée de Foxconn – « L’usine coopère avec le gouvernement pour organiser la gestion du personnel », écrivait alors Foxconn –, du chômage massif des jeunes et des moins jeunes, des difficultés de se fournir en denrées alimentaires – « Qu’est-ce qu’on va manger, nous qui ne sommes pas résidents ? Nous voulons manger à notre faim. Le Parti communiste chinois nous soutient-il ? », interpellaient déjà en janvier des centaines de travailleurs migrants manifestant à Tianjin –, de la grande misère des hôpitaux et des travailleurs sociaux – « Nous n’avons pas d’eau, pas de nourriture, pas d’abri, et plus de 100 personnes dorment sur le bord de la route. Pourquoi sommes-nous traités ainsi ? ».
La stupidité du bureaucrate le dispute à la violence quand il s’agit de sa survie personnelle, a fortiori de sa promotion. Quarante étudiants de l’université de Pékin ont décrit cette mécanique : « Pourquoi la politique de prévention et de contrôle devient-elle de plus en plus impopulaire ? Ceux qui appliquent les mesures décidées centralement vont se concentrer inévitablement sur ce qui va satisfaire leurs supérieurs et ne tiendront pas compte des demandes réelles de la population ».
Un nouveau pas a été franchi. Mettant en cause la bureaucratie, les manifestants ont revendiqué la liberté d’expression, la démocratie, le droit de décider de leurs propres affaires. Ce qui est incompatible avec le monopole du pouvoir du Parti communiste chinois. Nul ne peut dire ce qu’il adviendra du pouvoir que tous hier s’accordaient à dire tout-puissant, mais un mouvement est engagé.
La sinologue Marie Holzman écrit dans une tribune : « Le 26 novembre, au sein de l’École de journalisme de Nankin, le président de l’université est sorti pour calmer les étudiants en les menaçant : “Vous serez tenus responsables de ce que vous avez fait ces jours-ci”. Ces propos ont aussitôt provoqué des réactions furieuses : “Vous aussi vous aurez à rendre des comptes de tout ce que vous avez fait. Ce pays devra rendre des comptes.”»
La « Lettre » va poursuivre son travail d’information avec la publication de textes que nous avons reçus récemment, car il est clair que ces événements ne sont pas la fin mais le début d’un processus, qui aura donc des rebondissements. Nous rappelons que cette « Lettre » ne vit que grâce à l’abonnement de ses lecteurs. Nous invitons donc les lecteurs à vérifier le terme de leur abonnement pour continuer à recevoir la « Lettre » (le numéro figure sur l’étiquette d’adressage). Merci ! ●
LES MANIFESTATIONS ET LES SLOGANS
Le vendredi 25. À Urumqi (province du Xinjiang), à la suite de l’incendie et des excuses insultantes des autorités, des centaines de manifestants se sont rassemblés dans les rues, Ouïghours et Hans défilant ensemble, avec des drapeaux chinois, exigeant la fin du confinement. Une femme a brandi des feuilles de papier où figuraient le chiffre 10 [Ndlr : nombre annoncé des victimes de l’incendie] en langues ouïghoure et chinoise. « Au bout d’un moment, tout le monde s’est mis à faire pareil. Personne ne disait rien, mais nous tous, nous savons ce que cela signifie. Supprimez ce que vous voulez, vous ne pourrez pas censurer ce qui n’est pas dit », explique un photographe chinois. La foule, poing levé, criait « Levez le confinement ! », puis a chanté l’hymne national et L’Internationale. Le lendemain, les autorités ont assoupli les restrictions de circulation dans certains quartiers.
Le samedi 26. À Shanghai, avenue Wulumuqi (qui est le nom d’Urumqi en chinois), une veillée aux bougies s’est transformée en manifestation au milieu de la nuit. La foule a brandi des feuilles de papier vierges, nouveau symbole de protestation contre la censure. Puis ils ont scandé « Levez le confinement à Urumqi, levez le confinement dans le Xinjiang, levez le confinement dans toute la Chine ! ». Des manifestants se sont affrontés plus tard à la police en scandant « Servez le peuple ! », « Nous voulons la liberté ! Nous ne voulons plus de codes Covid ! ». On entend pêle-mêle « Nous voulons la liberté, la démocratie, la liberté d’expression et de la presse ».
À l’université de la Communication de Nanjing, des affiches tournant en ridicule la politique du « zéro Covid » ont rapidement été arrachées. Un étudiant s’est alors tenu debout pendant plusieurs heures devant les restes de ces affiches, brandissant une feuille de papier blanc. Plusieurs centaines d’étudiants l’ont alors rejoint. Certains d’entre eux ont déposé des fleurs blanches sur le sol pour honorer la mémoire des disparus à Urumqi et se sont mis à chanter « Reposez en paix ». Puis d’autres ont entonné l’hymne national chinois, d’autres enfin ont, là aussi, chanté L’Internationale, avant de lancer « Longue vie au peuple ! ». Sur le campus de la célèbre université Tsinghua de Pékin, une foule énorme s’est rassemblée, certains arborant ces feuilles blanches.
À Lanzhou, capitale du Gansu dans le centre du pays, des manifestants ont renversé les tentes du personnel de dépistage et détruit des cabines de tests.
Le dimanche 27. À Chengdu, des milliers de personnes ont manifesté pacifiquement en défilant dans les rues, scandant « Nous ne voulons pas de tests Covid ! Nous voulons la liberté ! ». La foule a commencé à se rassembler aux alentours de 20 heures et a défilé jusqu’à 2 heures du matin au moins. À Wuhan, où les premiers cas de coronavirus sont apparus fin 2019, on a vu des milliers de personnes défilant dans une rue commerçante très populaire. À Shanghai, des centaines de personnes ont encore manifesté dans le centre, brandissant, elles aussi, des feuilles de papier blanc, debout en silence à plusieurs carrefours, avant que la police arrive et les disperse. Le soir encore, entre 300 et 400 personnes se sont rassemblées plusieurs heures durant sur les berges de la rivière Liangmahe qui traverse le centre de Pékin. Certains criaient : « Nous sommes tous des gens du Xinjiang ! Allez, le peuple chinois ! ».
Les jours suivants, la présence policière était massive dans les villes après l’appel des autorités à « réprimer résolument, conformément à la loi, les actions criminelles visant à briser l’ordre social et protéger avec détermination la stabilité sociale ». Pourtant, d’autres rassemblements ont eu lieu lundi et mardi, par exemple à Hangzhou, où de petites manifestations ont éclaté, tout comme dans un quartier de Guangzhou, où des vidéos montrent des affrontements avec la police après que des barrières de confinement furent renversées dans ce quartier bouclé depuis un mois.
(Sources diverses : agences AP, Reuters, AFP, etc.)
DOCUMENT
Déclaration de 40 étudiants de l’université de Pékin (Les caractères gras sont nôtres)
(…) Pourquoi la politique de prévention et de contrôle devient-elle de plus en plus impopulaire ? Pourquoi les situations suivantes continuent-elles de se produire malgré les ordres répétés du gouvernement central : des patients ou des mères se voient refuser un traitement médical en temps voulu parce qu’ils ne peuvent pas fournir leurs résultats d’analyse PCR, des résidents et des étudiants sont transférés de force et mis en quarantaine à leur insu, des portes sont bloquées de sorte que les gens n’ont nulle part où aller, voire perdent la vie en cas d’accident.
Nomination et révocation des fonctionnaires. Nous pensons que la récurrence de ces situations s’explique par le fait qu’en l’absence d’instructions impératives liant la nomination et la révocation des fonctionnaires aux préparatifs contre l’épidémie il est difficile de les faire appliquer sérieusement. Alors, une fois que les moyens administratifs sont utilisés pour mettre en œuvre la politique, ceux qui l’appliquent effectivement se concentreront inévitablement sur la satisfaction des exigences de leurs supérieurs et ne tiendront pas compte des demandes réelles de la population. Ils ne cesseront d’élever la barre à tous les niveaux pour s’assurer d’un bilan parfait.
Impossible d’exprimer son mécontentement. De plus, les autorités ont abusé de leur pouvoir pour contrôler l’opinion publique en bloquant et en supprimant les commentaires sur cette politique. Il est donc impossible pour le public d’exprimer son mécontentement et de critiquer des mises en œuvre spécifiques, ou même d’appeler à l’aide en temps voulu lorsqu’il rencontre des difficultés. Les protestations et les manifestations que l’on observe partout aujourd’hui sont également le résultat inévitable d’une telle situation.
Les demandes. Par conséquent, nous demandons par la présente :
1. Afin d’éviter les abus de la puissance publique, tous les confinements locaux de quarantaine doivent être arrêtés afin que toutes les personnes des communautés, villages, unités et écoles puissent entrer et sortir librement.
2. Abolir les moyens techniques permettant de surveiller les allées et venues des citoyens, comme les codes d’accès et l’application de suivi des téléphones portables. Cesser de considérer la propagation de l’épidémie comme la responsabilité de certains individus ou institutions. Consacrer des ressources à des travaux de longue haleine tels que la mise au point de vaccins, de médicaments et la construction d’hôpitaux.
3. Mettre en œuvre des tests PCR et une quarantaine volontaires pour les personnes non diagnostiquées et asymptomatiques.
4. Libérer les restrictions sur l’expression de l’opinion publique et permettre les suggestions et les critiques sur les problèmes spécifiques de mise en œuvre dans les différentes localités.
5. Divulguer des données véridiques sur l’infection, y compris le nombre de personnes infectées, le taux de décès, le taux de longues séquelles, afin d’éliminer la panique épidémique pendant la transition.
Nous espérons mettre fin à l’obligation d’utiliser l’acide nucléique pour les personnes asymptomatiques qui n’ont aucun antécédent d’entrée ou de sortie de l’école, et annuler l’autorisation donnée au Centre de recherche sur la jeunesse de surveiller diverses plates-formes d’expression publique. (…)
27 novembre 2022
Ce que cette actualité a estompé… Le 21 novembre, 38 travailleurs sont morts dans un incendie à Anyang (Henan), des ouvrières en majorité. Le congrès mondial de la Confédération syndicale internationale (CSI) qui s’est tenu fin novembre demande la libération des dirigeants syndicaux de Hong Kong emprisonnés et l’abandon des charges, ainsi que le respect du droit de grève et d’association en Chine continentale. Tsai Ing-wen, la présidente de Taïwan, a annoncé sa démission de la direction de son parti le 26 novembre, après que les électeurs ont voté pour l’opposition à une large majorité.