VU
Une ouvrière de Foxconn : « L’entreprise est en train de jongler entre “comment satisfaire les commandes passées par Apple” et “comment s’assurer d’être en conformité avec la politique Covid du gouvernement pour ne pas être sanctionné”. Les droits des travailleurs, ce n’est pas ce qui les préoccupe. »
ÉDITORIAL
Révolte ouvrière chez Foxconn. Après l’exode de milliers d’ouvriers des immenses usines Foxconn à Zhengzhou provoqué par les mesures inadaptées et dangereuses prises par la direction pour faire face à l’épidémie (voir « Lettre » précédente), les patrons se sont retrouvés à court d’ouvriers en cette période de pointe pour assurer l’assemblage des iPhone, les téléphones d’Apple.
Pour Terry Gou, le patron milliardaire de Foxconn, le moment est alors venu de faire appel aux dirigeants du Parti communiste chinois (PCC) qui, de tout temps, lui ont accordé tous moyens et facilités. « L’usine coopère avec le gouvernement pour organiser la gestion du personnel », écrit alors Foxconn. L’appel est entendu : les cadres du Parti des villages alentour s’embauchent en CDD sur les chaînes de production, les retraités de l’armée sont appelés en renfort, mais arrivent aussi des milliers de jeunes chômeurs auxquels Foxconn promet des salaires et primes hors normes (voir au verso). « Des membres du PCC qui prêtent main-forte à une entreprise taïwanaise, au service de la multinationale américaine la plus valorisée du monde : l’histoire est cocasse », commente le quotidien « Le Monde ». Mais pour l’ouvrier, l’histoire n’est pas cocasse du tout ! Car au moment des signatures de contrat et du versement de la paie, les promesses se sont envolées et le compte n’y est pas du tout !
La grève éclate alors dans certains ateliers, des rassemblements massifs ont lieu, on manifeste dans l’usine et au dehors au cri de « Défendons nos droits ! Nous voulons notre paie ! ». La police puis la police antiémeute sont appelées en renfort face à ces milliers d’ouvriers en colère, la mobilisation dure deux jours et les affrontements sont violents. Foxconn doit mentir pour reculer : « Nous nous excusons pour une erreur de saisie dans le système informatique et garantissons que la rémunération réelle est la même que celle convenue. »
Et pour finir, le patron offre aux milliers de nouveaux embauchés une prime de 10 000 yuans (soit trois ou quatre mois de salaire !) pour qu’ils… quittent l’entreprise ! Plus de 20 000 d’entre eux auraient saisi l’occasion… Pour les patrons de Foxconn, faire repartir les chaînes de production était l’impératif et il leur aura donc fallu ensuite appâter à nouveau des milliers d’ouvriers. En résumé, les ouvriers ont manifesté d’abord leur défiance à l’égard de leur patron quant à sa volonté de les protéger de l’épidémie – seule compte la production –, puis ils ont refusé de laisser libre cours à la surexploitation en exigeant que soient respectées les annonces de salaires et primes.
Ras-le-bol ! Dans la soirée du 14 novembre, une foule d’habitants d’un quartier de Guangzhou avait déferlé dans la rue pour abattre les barrières placées par les autorités pour confiner la population, au cri de « On ne veut plus de tests ! ». Des vidéos montrent des affrontements et un fourgon de police en train d’être renversé. Ainsi, l’exaspération que suscitent les confinements bureaucratiques se conjugue au combat contre l’exploitation. Dans des quartiers, les affrontements ont lieu avec les « hommes en blanc », policiers, personnels volontaires ou engagés.
La politique du « zéro Covid » est maintenue au nom de la formule de Xi Jinping « la santé avant l’économie », mais des infléchissements viennent de voir le jour face à la multiplication des incidents dans les quartiers et surtout cette explosion ouvrière à l’usine Foxconn. L’inquiétude s’accroît dans les rangs du pouvoir, à tous les niveaux. Le gouvernement a donc annoncé « l’optimisation de la réponse au Covid » avec 20 mesures de prévention et de contrôle, assorties de cet avertissement : « Éviter les mesures de contrôle excessives et arbitraires ». Et stabilité sociale oblige : « Ceux qui sont à la source de conséquences graves seront tenus pour responsables » (Reuters, 15 novembre).
« Quel genre de cerveau a imaginé cette politique ? » Cette réflexion a circulé sur les réseaux sociaux après les annonces et leur application locale, car c’est le chaos et la confusion qui règnent. Les mesures contraignantes n’ont pas empêché la propagation du virus car des milliers de nouveaux cas quotidiens sont détectés. Mais désormais, on assiste à la disparition de postes de dépistage, on apprend aussi la fin de la gratuité des tests par certains gouvernements locaux, le paiement allonge les files d’attente, alors que les entreprises et les transports exigent un test souvent de moins de 24 heures. Ailleurs, on a interrompu les tests réguliers ou ajusté leur fréquence.
À Guangzhou, la plupart des établissements scolaires sont fermés, l’enseignement se fait en distanciel à la maison, des pénuries alimentaires et des difficultés d’accès aux bâtiments résidentiels compliquent la vie des habitants, l’accès aux soins des personnes confinées est quasiment impossible. Des drames surviennent, comme cet enfant de trois ans décédé à Lanzhou faute de soins, après une intoxication au monoxyde de carbone. De plus en plus souvent, l’arbitraire des comités de quartier du Parti communiste chinois est l’objet de vives critiques. D’autant que certains experts juridiques ont mis en avant que ces comités n’ont aucune autorité pour boucler les immeubles ou les quartiers…
Des millions de PME ont fermé leurs portes, des millions de travailleurs vivent ou survivent sur leurs économies. Les géants de la technologie ne se gênent pas pour licencier quand l’herbe est moins verte : Tencent a ainsi procédé à de nouvelles suppressions d’emplois après les 6 000 licenciements entre mars et juin derniers, soit 5 % de l’effectif. Quant aux conditions des millions de livreurs, elles ne se sont pas améliorées. Nous publions des extraits d’un article de « China Labour Bulletin » sur le sujet.
Toute la situation est en tension et les travailleurs ne sont pas prêts à se laisser faire, comme le montrent ces événements.
CHEZ FOXCONN…
Mobilisation générale du Parti
Selon certains médias, les villages ont reçu pour instruction d’envoyer au moins deux habitants chacun et les cadres du Parti qui travaillent dans la fonction publique ont été priés de signer les premiers des contrats de un mois à six mois pour « montrer le bon exemple ». Un ouvrier qui travaille à l’usine explique qu’il a été appelé par les autorités de son canton : « Il y a une énorme pénurie de main-d’œuvre à Foxconn. Chaque village doit envoyer au moins une personne à l’usine. Moi, ils m’ont appelé pour me demander si je voulais continuer à travailler jusqu’à ce que j’obtienne ma prime. Ce sont les gens du gouvernement qui s’impliquent directement dans le recrutement. Avant-hier, ils nous ont distribué des couettes militaires. »
Le Bureau des affaires des vétérans de l’Armée populaire de libération de la région a exhorté les retraités à « répondre à l’appel du gouvernement » provincial afin de « prendre part à la reprise de la production » dans l’usine, leur rappelant qu’ils sont toujours sous l’autorité du Parti. Selon le quotidien du Parti « Global Times », 10 000 travailleurs manqueraient pour assurer le travail sur les chaînes.
Les promesses alléchantes Selon le magazine « Caixin » (9 novembre), « l’usine Foxconn de Zhengzhou a offert une prime de 400 yuans (54 euros) par jour à tous les travailleurs se présentant au travail ce mois-ci, contre une prime de présence ordinaire de 100 yuans. Les travailleurs qui vont travailler pendant vingt-cinq jours peuvent obtenir une prime supplémentaire de 5 000 yuans. L’usine embauche également des travailleurs rémunérés à l’heure, offrant 30 yuans de l’heure jusqu’au 15 février. »
Et pour la quarantaine ? « Nous versons 400 yuans (54 euros) par jour pour votre quarantaine de quatre jours. Le coût de l’hôtel est couvert par Foxconn. Après avoir rejoint l’usine, vous serez payé 30 yuans (4 euros) par heure », assurait la direction de Foxconn.
Le salaire horaire annoncé est considéré comme un tarif élevé car des emplois similaires offrent moins de 20 yuans (2,70 euros) de l’heure en moyenne. L’entreprise a également déclaré que les employés recevront leur salaire complet sans aucune condition, contrairement à ce qui se passait auparavant. Le recrutement prévoit que les personnes qui ont fui l’usine en octobre recevront un paiement supplémentaire unique de 500 yuans après avoir repris le travail.
DOCUMENT
« Bien que le nombre total d’actions collectives dans le secteur ait diminué par rapport à l’année dernière – 68 mouvements de protestation enregistrés en novembre 2022, contre 189 en 2021 –, ces incidents viennent appuyer les témoignages des travailleurs sur la persistance des problèmes.
Les réglementations gouvernementales adoptées en 2021 avaient pour but de protéger les droits des travailleurs précaires de la livraison. En juillet 2021, huit ministères et commissions ont publié un ensemble d’avis directeurs visant à protéger les travailleurs de l’économie de plates-formes et permettant au syndicat officiel chinois de négocier avec les directions du secteur professionnel pour signer des contrats collectifs. Les avis directeurs stipulent que ces accords doivent couvrir certaines des principales doléances des travailleurs, notamment la rémunération, la sécurité sur le lieu de travail et autres conditions de travail. Toutefois, ces négociations ne se sont pas traduites par des changements significatifs dans le secteur, et ce n’est pas faute d’un concert de plaintes des travailleurs concernant leur rémunération et leurs conditions de travail.
En réalité, les rémunérations de livraison ont à peine augmenté dans les grandes villes de premier rang. Selon une enquête de Economic View, un coursier de la plate-forme ZTO à Pékin a déclaré que le tarif de livraison était resté à 1,20 yuan [Note : 1 yuan = 0,13 euro] pendant plusieurs années. Un coursier de la plateforme Shentong travaillant à Hangzhou a déclaré que le tarif de livraison était de 1 yuan depuis deux ou trois ans. Et un coursier de Shanghaï a déclaré que son taux de livraison était légèrement plus élevé, à 1,40 yuan.
Dans les petites villes du pays, les tarifs sont inférieurs à 1 yuan. Par exemple, un coursier d’un comté de la province du Guangdong a déclaré qu’il n’avait pas de salaire de base et ne recevait que 0,7 yuan par commande. De plus, les tarifs n’ont tendance à augmenter que lorsque la concurrence pour la main-d’œuvre est intense, et même dans ce cas, les plates-formes déduisent des frais administratifs des salaires des travailleurs pour augmenter leurs bénéfices.
De nombreux coursiers signalent également que leurs frais professionnels ont augmenté. Les entreprises ont utilisé des casiers de stockage pour raccourcir les délais de livraison. Cependant, une partie du coût de l’utilisation de ces casiers incombe aux livreurs. Un coursier interrogé par Economic View a expliqué que certains complexes résidentiels n’autorisent pas les livreurs à monter dans les étages. Les résidents demandent aux coursiers de placer leurs livraisons dans des casiers de stockage.
Deux de ces sociétés de stockage sont Fengchao et Cainiao (une société de logistique appartenant à Alibaba).
Le coursier explique : « Il faut payer 0,4 yuan pour mettre un colis dans le casier de Fengchao, et 0,8 yuan pour le mettre dans le casier de Cainiao ». Un coursier de la STO a été condamné à une amende de 5 000 yuans [Note : l’équivalent de deux mois du salaire minimum le plus élevé du pays !] pour ne pas avoir livré un colis alors qu’il l’avait entreposé dans une station gérée par Cainiao, a rapporté le « Southern Metropolis Daily ». Le destinataire n’avait pas reçu de code d’enlèvement, ce qui n’était pas la faute du coursier. Les entreprises de livraison express ne sont pas disposées à assumer les coûts de transport du dernier kilomètre, de sorte que les travailleurs portent la responsabilité de tout incident survenant au cours du processus de livraison, même après avoir effectué la livraison.
En 2021, des contrats collectifs ont été signés entre des affiliés du syndicat officiel et des représentants de la direction du secteur professionnel dans quelques rares villes. Le contrat pour le secteur du courrier et colis à Suzhou a fait l’objet d’une publicité pour avoir inclus des normes pour la fixation des tarifs de livraison et d’un salaire minimum, et pour avoir inclus des dispositions sur la sécurité sociale et les congés annuels. « Cela devrait être une bonne chose », a déclaré un coursier de la province du Hebei au « Workers’ Daily » [Note : organe du syndicat officiel ACFTU] à propos des contrats collectifs. Mais il a souligné que les coursiers gagnent plus que le salaire minimum de la région, qui est de 2 400 yuans. Par conséquent, bien que le contrat fixe une norme, il n’améliore pas de manière significative la rémunération des travailleurs.
L’Institut de l’industrie et du commerce de la province du Shaanxi a constaté que les contrats conclus par le biais de négociations collectives par les syndicats du secteur de la livraison express de Xi’an n’étaient que des contrats standards artificiellement créés pour valoriser les syndicats de l’échelon supérieur. Plutôt que de tenir compte de l’opinion des travailleurs, les négociations étaient axées sur la réalisation des objectifs.
Environ 86 % des livreurs interrogés n’était même pas au courant du rôle des syndicats dans la négociation de ce contrat. Un an après les avis directeurs de l’ACFTU en 2021 et quatre ans après la campagne de l’ACTFU visant à améliorer les conditions des “huit principaux groupes”, dont font partie les livreurs, il n’existe toujours pas d’inscription en ligne permettant aux coursiers d’adhérer au syndicat. Sans leur participation, la consultation collective continuera probablement à faire défaut. » (Source : « China Labour Bulletin », 14 novembre)